Xabi,
J'ai enterré plusieurs amis.
J’ai mis en terre plusieurs coffres de bois habité par la mort.
Mais certains marquent plus que d’autres…
Dans ma jeunesse, j’étais un tourbillon relationnel amenant dans mes sillons tous ceux qui voulaient participer à labourer les champs de la Vie.
Tu le sais, lorsque l’on est jeune, toutes les moissons sont prometteuses, la moindre goutte qui tombe sur un sol aride amène l’espoir de l’abondance.
Tirant les chevaux pendant des années à mes côtés, il y a eu mon frère. Mon grand frère.
Nous étions les cultivateurs de la vie, semant les graines et partageant avec tout le monde la valeur de nos récoltes.
Un jour, j’ai du quitter la ferme familiale brutalement, et pour des raisons que je ne peux raconter ici, ma vie prit un tournant plus qu’inattendu.
J’ai dû faire des choix, et bien que très jeune, j’ai du réapprendre totalement à exister loin des blés de mon enfance.
Les saisons ont passées et chaque retour à la ferme était pour l’ensemble de ma famille vécu comme une trahison, mes sœurs et mon frère me regardaient remettre l’autorité paternelle en question avec une force dont ils étaient incapables.
Dans le ranch en bois de mon enfance, seuls les chiens avaient droit à un semblant de liberté, on m’a donné la mienne et cela reste un mystère encore aujourd’hui.
Mon frère, lui, est resté, il a continué de cultiver les relations de notre enfance s’enfonçant chaque jour un peu plus dans un personnage clownesque, une parodie de lui-même.
Un automne, j’avais mis mes bretelles neuves, mes souliers cirés, tenant par la main ma femme et mon premier enfant dans les bras, je vins partager le poulet dominical de la ferme. J’étais devenu un Homme, portant des valeurs inconnues de tous mais aimant tout le monde. Ce fut le temps de la réconciliation.
Mon frère me retrouva mais ne compris jamais celui que j’étais devenu. Chaque fois qu’il me voyait un sentiment d’infériorité s’emparait de lui l’obligeant à se donner une contenance sur jouée et grotesque.
Il avait de multiples talents, qui se fanèrent peu à peu car non irrigué par son propre élan de liberté. Il devint un fantôme dans une ferme hantée par les souvenirs et les personnages du passé.
Lorsque je vidais dans le trou de son repos éternel la terre de nos champs, je ne pouvais que me souvenir du potentiel gâché, de l’enfant libre et pure que j’avais connu et qui gisait à jamais dans l’enfer de son mensonge personnel.